mercredi 4 février 2009

La lecture des Sonnets de Shakespeare que j'ai achetés en décembre dernier dans une confortable édition bilingue et qui depuis ne quittent plus la poche de mon manteau (manteau offert par mon très-regretté ami Washington que je salue au passage) m'a poussé à en écrire moi-même - des sonnets que Wikipedia appelle shakespeariens ou élisabéthains, ABAB CDCD EFEF GG. Sans vouloir me trouver des excuses, je tiens à jurer sur ma vie que je ne me suis jamais considéré comme un poète. N'ayant d'ailleurs aucun thème en tête je me suis comporté de la façon sans doute la moins lyrique qui soit : j'ai écrit quelques mots essentiels sur des bouts de papier, je les ai mis dans ma casquette des Postes anglaises et, n'ayant aucune main innocente à portée de regard j'ai moi-même tiré au sort. Quelques semaines et presque un crayon de papier entier plus tard trois sonnets sur le Suicide noircissent on ne peut élégamment les trois dernières pages de mon bienaimé Moleskine. Je les ai envoyés par email à C. Elle m'a fait une de ses insupportables réponses solennelles qui commencent par Cher Merlin (à la ligne) et qui évitent soigneusement d'entamer le premier paragraphe par Je. Sa solennité, la franchise soudaine de son regard quand elle veut me dire quelque chose... il est chaque jour plus évident que le précédent que je vais finir par payer un tueur à gages - ou me payer moi-même pour effectuer l'impérieuse besogne. 450 mots pour me dire que malgré tout mon talent "qui n'est pas en question" je ferais peut-être mieux d'en rester à la prose. Trop d'adjectifs, trop de rimes. J'ai toutefois la faiblesse de penser qu'elle n'a pas tort, et c'est comme en un geste d'adieu au continent surexploité de la Poésie que je jette ces vers démodés en pâture aux voix anonymes que j'entends susurrer contre la paroi noire et glacée de mon bulloblog. Me voici enfin nu et ridicule devant l'invisible assemblée de ces démons hargneux à qui j'offre, maigrelet grand seigneur, rien moins que le bâton pour me faire battre. Ecce homonculus. (Ne prends pas peur, Washington, il s'agit d'une saignée à but thérapeutique.)

Suicide 1

Je m'en vais mes amis, je m'en vais mes cochons
Accouplez-vous, vivez, mais pour moi c'est la fin;
Je quitte le corps du monde vaincu par le démon,
Je n'aime pas la vie et elle me le rend bien.
Vous cherchez les beaux ciels, les plages et les collines,
Moi je préfère les bois à la morte saison:
Le froid soleil d'hiver, racorni, qui chemine
Entre les grands bouleaux aux pâles frondaisons.
Frêle vautour penché sur ma propre ombre frêle,
Je fais triste compte des joies qui me restent:
Donner des tours de clés et vider les poubelles,
Rêver qu'il y a la peste, que j'échappe à la peste.
Sachant qu'on ne guérit pas d'un manque d'appétit,
Je pose une main sereine sur mon coeur rabougri.

(La suite au prochain épisode)

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