Dormi deux heures cette nuit. Terrorisé comme un gosse à l'idée de fermer les yeux et de refaire LE cauchemar - les rats, l'orgue et ce troisième "élément" que je préfère ne pas évoquer ici. Accroupi sur mon lit, emmitouflé dans deux couvertures et bouche bée à cause de ma sinusite j'ai lu et relu les Evangiles - les synoptiques, et surtout celui de Jean. Je me souviens de la première fois où j'ai compris la parabole du grain de blé. "En vérité, en vérité je vous le dis : Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais s'il meurt il porte beaucoup de fruits." C'était en première à Chameaulx, chez les maristes. J'étais pétri de nietzschéisme, je haïssais la religion de tout mon coeur (j'adorais la haïr) mais qu'une mort, celle du Christ, puisse être envisagée selon le point de vue de sa fécondité avait déjà éveillé ma curiosité et fait vibrer au plus profond de moi une corde que je n'ai jamais entendu aussi distinctement qu'aujourd'hui. Le Seigneur qui descend au niveau des hommes pour leur offrir la vie divine, le Seigneur qui prend ce risque, en devenant homme à son tour, de n'être pas compris, d'être rejeté, de semer sa parole de vie dans des coeurs desséchés. Comment s'y prend-il pour nous offrir la grâce ? Il meurt. Mais sa mort nous donne la vie. Sa mort est promesse de vie, de vie éternelle. Il faut mourir pour renaître.
Je m'aperçois de la facilité avec laquelle je prononce ces phrases dans le silence de ce blog ; je n'arrive même pas à commencer à imaginer en parler avec quelqu'un, j'aurais l'impression de ventriloquer, d'être la voix d'un autre - et pourquoi ne pas l'avouer après tout, je me sentirais effroyablement ridicule, comme ont toujours été ridicules à mes yeux ceux qui commentaient les sermons du Christ. Quand je lis les Evangiles je sens que Jésus ne s'adresse qu'à moi, et ce n'est jamais ridicule. Et puis ensuite je ferme les yeux et je reviens à la vie vulgaire. Et alors Jésus m'apparaît comme une personne spectaculaire, lointaine, bien trop sérieuse pour être prise au sérieux par l'esprit moderne (Baudelaire rappelle dans son essai sur le rire que ce que ne fait jamais le Christ c'est rire, puisque le rire est la chose de Satan - rire c'est, dit-il en substance, manifester la conscience de sa supériorité). Je suis perplexe : s'il n'y a plus que la peur du ridicule qui me sépare de ce geste incroyable qu'est la reconnaissance de ma foi, alors ce n'est qu'une question de temps. Et pourtant je suis si loin des autres, je suis encore si férocement moi-même, si orgueilleux, si facilement enclin à la cruauté gratuite (C.), si peu disponible, - et mon coeur est si sec...
Je m'aperçois de la facilité avec laquelle je prononce ces phrases dans le silence de ce blog ; je n'arrive même pas à commencer à imaginer en parler avec quelqu'un, j'aurais l'impression de ventriloquer, d'être la voix d'un autre - et pourquoi ne pas l'avouer après tout, je me sentirais effroyablement ridicule, comme ont toujours été ridicules à mes yeux ceux qui commentaient les sermons du Christ. Quand je lis les Evangiles je sens que Jésus ne s'adresse qu'à moi, et ce n'est jamais ridicule. Et puis ensuite je ferme les yeux et je reviens à la vie vulgaire. Et alors Jésus m'apparaît comme une personne spectaculaire, lointaine, bien trop sérieuse pour être prise au sérieux par l'esprit moderne (Baudelaire rappelle dans son essai sur le rire que ce que ne fait jamais le Christ c'est rire, puisque le rire est la chose de Satan - rire c'est, dit-il en substance, manifester la conscience de sa supériorité). Je suis perplexe : s'il n'y a plus que la peur du ridicule qui me sépare de ce geste incroyable qu'est la reconnaissance de ma foi, alors ce n'est qu'une question de temps. Et pourtant je suis si loin des autres, je suis encore si férocement moi-même, si orgueilleux, si facilement enclin à la cruauté gratuite (C.), si peu disponible, - et mon coeur est si sec...
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Rencontré S. vendredi complètement par hasard à une soirée. Ancien ami de JB, barbu, obèse et probablement fou. Lorsque C. l'a reconnu j'ai cru qu'elle allait éclater en sanglots. Ils ont échangé quelques mots maladroits et se sont éloignés dès le premier silence de plus de deux secondes, comme s'ils étaient rien moins que la peste l'un pour l'autre. Stupéfiant de voir la façon dont ils étaient gênés d'être physiquement côte à côte, comme si la rencontre invisible de leurs deux mémoires produisait assez d'étincelles pour faire apparaître, mais pour eux seuls, le spectre de ce mort déjà légendaire qui les réunit. De tous les morts de ma vie Jean-Baptiste qui m'est le moins cher (je ne l'ai jamais connu) est celui qui possède pourtant le plus évidemment cette qualité divine qu'il suffit à un mort d'être mort pour acquérir. Je ne connais sa vie que par bribes et pourtant elle me semble plus réelle, plus consistante que toutes les vies qui se jouent en ce moment autour de moi, tous ces acteurs qui strut and fret their hour upon the stage, condamnés à n'être bientôt plus entendus. La raison de ce mystère (raison impuissante à le résoudre cependant) tient bien sûr à la façon dont il est mort ; je ne le vois pas comme un Werther ou un Kurt Cobain mais plutôt comme Kirilov dans les Démons de Dostoïevski. Se tuer pour devenir Dieu, pour être absolument soi-même, pour aller au bout de la logique de la liberté : "La liberté sera totale, explique Kirilov, quand il sera indifférent de vivre et de mourir. Voilà le but de tout." A quoi son interlocuteur répond : "Le but ? Mais alors il se peut que personne ne veuille plus vivre ? - Personne", réplique-t-il, nous dit Dostoïevski, "d'un ton ferme" - le ton que je prête à JB lorsque je l'imagine en train de se débattre dans le rets de ces questions, accroupi sur le lit de cette chambre de bonne qui devait être sa dernière demeure.
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