jeudi 29 janvier 2009

Demain je rencontre le père de C. Il est à Paris jusqu'à dimanche, et C. a imaginé un stratagème pour que je le salue sans que ça ait l'air de la Rencontre officielle qui scellera nos destins jusqu'à ce que la mort nous sépare. C. déjeune avec lui dans le restaurant en face du studio et moi... je les rejoins pour le café. Je surgis, je pop up, comme une pub pour du Viagra sur le site ronflant d'une paroisse campagnarde. Evidemment j'aurais dû refuser - C. comptait peut-être là-dessus d'ailleurs. Mais je suis victime de ma curiosité, comme d'habitude. Qui est-il, cet homme soigné, imberbe, courtois et impitoyable ? Comment parle-t-il ? Comment sourit-il ? Sur aucune des photos que j'ai espionnées dans l'ordinateur de C. (mot de passe : jean-baptiste, le prénom de son frère mort) on ne le voit entrer en contact physique avec l'un de ses six enfants. Ils sont là autour de lui, à la mer, à la campagne, à la neige, ils sont un trophée à six têtes, une preuve vivante (du bienfondé de l'enfantement, de la foi qu'il faut avoir dans l'avenir), ils sont la chair dont se repait l'ogre du conformisme, ogre incontentable, comme chacun sait. Qui est-il, ce pater familias qui règne sur son royaume (sa progéniture) sans jamais le toucher, l'embrasser ou le caresser ? Aucun regard enveloppant où se devine la tendresse, aucune fantaisie où se cacherait l'amour. Rien qui ne paraisse en mesure de courber rien qu'un peu sa raideur pontificale. J'en ai des frissons. Je me souviens d'une photo prise de loin où on le voit traverser le parvis d'une cathédrale, aussi dédaigneusement droit qu'un héron dans un marais, précédé par la docile colonne de sa marmaille endimanchée, cravates enfantines impeccablement nouées, souliers luisants et têtes basses. La vérité c'est bien sûr que je me protège déjà, que je me cuirasse contre cet homme solide et respectable qui, si je me fie à ce qu'il écrit, à son style et à ses préoccupations, pourrait voir dès le premier coup d'oeil que je suis enroulé comme une ombre autour du cou de cygne de sa fille chérie - mais l'est-elle seulement ?

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