lundi 27 avril 2009

Cher Merlin

pardonne-moi de t'ecrire cet email que j'ai la faiblesse de croire si important sur un clavier sans e accent aigu ni chiffre deux. Peut-être est-ce l'image la plus tristement juste de ce qu'aura ete notre relation : incomplète, frivole, à sens unique, jouee par un dieu de l'amour recru de fatigue sur un clavier mutile (oui, je me mets à ecrire comme toi, avec de faux "peut-être" et des metaphores à la chaîne)

Depuis la fenêtre de cette cuisine rustique où j'ai tant de souvenirs, je vois le laurier et le bouleau que mon père avait plantes à la naissance de Jean-Baptiste. Ils etaient censes symboliser le sud et le nord ; je n'ai jamais trouve très convaincant le couple qu'ils formaient au fond du jardin mais il en a va sans doute toujours ainsi des unions premeditees : le temps souffle sur elles, lentement mais sûrement, et elles finissent par avoir l'air de ce qu'elles sont, des mensonges. Puisqu'il est enfin question de ceux-ci je veux te dire que je ne t'en veux pas pour ce que j'ai vu rue de Turenne, que je ne t'en veux pas pour ce que j'ai cru comprendre en lisant cette lettre qu'elle t'a envoye - et puis de toute façon tu trouveras toujours le moyen de me faire passer pour la vraie coupable decacheteuse de lettres qui ne lui sont pas destinees. Je prefère ne pas me poser de questions sur ce que j'imagine être certains de tes miserables petits secrets mais, crois-le ou pas, ceux-ci ne pèsent presque d'aucun poids dans ma decision. Si je ferme la porte entre toi et tes mensonges et moi c'est pour une autre raison. J'etais prête à refaire un effort, à accepter que tu sois dans une mauvaise periode et que les mauvaises periodes soient synonymes chez toi de cruaute envers les autres, j'etais prête à tout, à avaler toutes les dissymetries, à excuser ton indecence, ton absence de souci des gens, ton extraordinaire egoïsme et ton auto-complaisance - mais voilà, j'ai trouve entre deux livres de la bibliothèque de mon père un carnet qui a appartenu à Jean-Baptiste et j'ai compris, comme un eurëka vraiment, que la seule raison pour laquelle tu te traînais jusqu'à chez moi et supportais ma conversation c'etait dans l'espoir de glâner quelques informations sur mon frère.

Je ne veux pas te dire combien il t'etait moralement superieur, combien à côte de lui et sur le plan moral qui t'obsède tant tu me fais l'effet d'un cafard tropical - je veux simplement te dire adieu en te faisant ce que tu ne sais et ne sauras sans doute jamais faire : un cadeau. Je t'ai envoye ce matin par la poste ce petit carnet qui va grandement te decevoir : il est noirci de titres et d'editions de livres et de numeros de pages. C'etait ce carnet qu'il avait sur lui quand il avalait la bibliothèque de mon père. Je me souviens de lui, assis entre le laurier et le bouleau, en train de lire et d'ecrire sur un carnet ; un jour je l'ai rejoint et je me suis assoupie sur son epaule. Je comprends maintenant qu'il notait les pages pour retrouver facilement des phrases qui l'avaient marque ; je ne rêve pas que tu t'ameliores ou que ces lectures t'illuminent, je ne rêve plus de rien à ton sujet. Je t'offre ce morceau de l'être qui a le plus compte dans ma vie pour que tu ne songes plus jamais à revenir dans celle-ci ; mais je ne me fais plus d'illusion à ton sujet. Il y a des gens qui savent tout, qui ont tout lu, qui sont des bibliothèques et des discothèques ambulantes - mais qui sont incapables de juger les situations en hommes, d'aimer ceux et celles qui les aiment, de ne pas faire souffrir de façon disproportionnee ceux qu'ils en sont venus à haïr. Je te souhaite de ne jamais devenir un de ces heros de la connaissance qui ne remarquent pas les changements de coiffures de leurs amoureuses. Je te souhaite... (ça continue sur dix lignes)

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